Citation de Pablo Neruda

samedi 31 janvier 2009

ODE AU CHAT


au commencement
les animaux furent imparfaits
longs de queue,
et tristes de tête.

Peu à peu ils évoluèrent

se firent paysage
s’attribuèrent mille choses,
grains de beauté, grâce, vol...
Le chat
seul le chat 
quand il apparut 
était complet, orgueilleux.
parfaitement fini dès la naissance
marchant seul
et sachant ce qu’il voulait.

L’homme se rêve poisson ou oiseau
le serpent voudrait avoir des ailes
le chien est un lion sans orientation
l’ingénieur désire être poète
la mouche étudie pour devenir hirondelle
le poète médite comment imiter la mouche
mais le chat
lui
ne veut qu’être chat
tout chat est chat
de la moustache à la queue
du frémissement à la souris vivante
du fond de la nuit à ses yeux d’or.

Il n’y a pas d’unité

comme lui ni lune ni fleur dans sa texture:
il est une chose en soi
comme le soleil ou la topaze
et la ligne élastique de son contour
ferme et subtil
est comme la ligne de proue d’un navire.
Ses yeux jaunes
laissent une fente
où jeter la monnaie de la nuit.

Ô petit empereur

sans univers
conquistador sans patrie
minuscule tigre de salon,
nuptial sultan du ciel
des tuiles érotiques
tu réclames le vent de l’amour
dans l’intempérie
quand tu passes
tu poses quatre pieds délicats
sur le sol
reniflant 
te méfiant de tout ce qui est terrestre
car tout est immonde
pour le pied immaculé du chat.

Oh fauve altier de la maison,

arrogant vestige de la nuit
paresseux, gymnaste, étranger 
chat
profondissime chat
police secrète de la maison
insigne d’un velours disparu
évidemment 
il n’y a aucune énigme 
en toi:
peut-être que tu n’es pas mystérieux du tout
qu’on te connaît bien
et que tu appartiens à la caste la moins mystérieuse peut-être qu’on se croit 
maîtres, propriétaires, 
oncles de chats,
compagnons, collègues
disciples ou ami
de son chat.

Moi non.

Je ne souscris pas.
Je ne connais pas le chat.
J’ai sais tout de la vie et de son archipel
la mer et la ville incalculable
la botanique 
la luxure des gynécées
le plus et le moins des mathématiques
le monde englouti des volcans
l’écorce irréelle du crocodile
la bonté ignorée du pompier
l’atavisme bleu du sacerdoce
mais je ne peux déchiffrer un chat.

Ma raison glisse sur son indifférence

ses yeux sont en chiffres d’or.

Pablo Neruda dans Navegaciones y regresos. Buenos Aires, Éditoriale Losada, 1959.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est définitivement la plus belle ode que l'Homme ait faite à ce merveilleux animal.